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.Un cavalier mourant expira vidé de son sang en annonçant que la horde arrivait au promontoire de Pettavigne, qu’il avait tourné bride en les apercevant mais qu’il avait reçu un coup d’arquebuse par quoi il s’excusait de devoir mourir à l’instant.L’abbesse tomba en prière sur le parvis de la chapelle romane antérieure au monastère, humble, austère, construite en souvenir d’une de ces pestes du passé qui n’avaient épargné personne.Et c’est là qu’elle vit le salut.Cette chapelle désaffectée, et qui attendait de tomber en ruine, était cernée d’une prairie d’œnanthes méphitiques qui sentaient la mort à plein nez.Cette abbesse (c’était la tradition de l’ordre d’en nommer une qui fût à peine nubile) n’avait que seize ans mais c’était une digne descendante de la baronne du Cental, laquelle avait pris sous sa protection nombre de vaudois quand ceux-ci avaient été persécutés.Ses aïeux, depuis la reine Jeanne, étaient habitués aux caprices des grands, auxquels il fallait réagir promptement.Ces œnanthes luxuriantes qui s’élevaient fleuries bien au-delà de la chapelle et tout au long de l’allée qui conduisait à la grand-route, ces œnanthes s’imprimèrent à son esprit comme un signe du ciel.Elle rameuta ses converses et leur ordonna de faire de ces fleurs et des racines une récolte totale, qu’elles s’y attaquent promptement et fassent diligence.Ensuite, elle alla trouver l’économe en son chauffoir.— Combien nous reste-t-il de porcs au saloir ?— Deux entiers et trois jambons de sanglier.Que prétendez-vous en faire, ma mère ? dit la nonne surprise.— Un piège ! dit la prieure.Vous allez immédiatement me trouver deux grands chaudrons que vous disposerez au centre du cloître.Vous ferez bouillir, infuser et réduire tant d’œnanthes que vous pourrez avec l’aide de vos sœurs.Ensuite vous dresserez sur les feux ces chaudrons bien en vue au centre du cloître du côté qui commande l’entrée.Et vous ouvrirez toutes grandes les portes d’icelui.— Fermées depuis des siècles, répondit la sœur du réfectoire.Comment voulez-vous que je retrouve les clés ?— Vous détruirez les grilles ! Vous allez me faire couper menu tout le porc que vous trouverez ! Vous en ferez deux grandes daubes auxquelles vous mêlerez le condensé d’œnanthes.Vous ferez bien bouillir le tout.Avez-vous suffisamment de vin ?— Deux barriques.— Fort bien ! De l’une vous nourrirez la daube.L’autre vous la disposerez bien en vue sur un berceau, avec une bonde ouverte et sa chantepleure ! N’ajoutez pas d’œnanthes au vin.La daube suffira.Il faut que le vin garde bon goût.— Avez-vous convié Lucifer, ma mère ? demanda l’intendante impressionnée.Vous savez que l’œnanthe…— Je sais, dit la prieure.C’est de la ciguë ! Croyez-vous que les parpaillots ne nous la feraient pas boire si d’aventure ils nous prenaient ?Une effervescence laborieuse régna dans le couvent durant tout le jour que dura l’attente des assaillants.Vers midi, la sœur apothicaire s’approcha de la prieure, avec une grande brassée d’une plante naine dans son tablier.— S’il m’était permis, ma mère, dit-elle, en mettant un genou en terre, de hasarder un avis bien modeste, je dirais que votre brouet serait bien plus efficace si vous y ajoutiez ceci !Elle élevait entre le pouce et l’index une minuscule baie couleur violine.— Qu’est-ce que c’est que ça ? demande la prieure.— De la belladone.— C’est un beau nom ! dit la prieure.L’apothicaire fit un signe évasif.— On m’en a dit beaucoup de bien.À six heures toutes les tables du réfectoire avaient été sorties dans le déambulatoire du cloître.Et par les grilles ouvertes on apercevait le chœur du couvent, y compris le tonneau de deux cents pintes qu’on avait assuré sur une cabrette à scier le bois.L’ensemble était illuminé par des candélabres garnis de cierges et il y avait autour des bancs, bien disposées à bonne distance, tout ce que la vaisselle de bois du monastère comptait d’écuelles.Un odorant fumet de porc mêlé à du sanglier s’échappait de toutes les fissures du couvent, de toutes les ouvertures, exsudait à travers les tuiles et se répandait insidieux sur la forêt.L’arbre lui-même, l’arbre gigantesque, en était parfumé.Le chœur étincelait comme par un soir de Noël.La prieure méticuleusement s’assura que tout était à souhait, plongea une écuelle dans la daube et la goûta du bout des lèvres.Elle était parfaite, ni trop salée ni trop poivrée.La mort qu’elle recelait embusquait sa présence dans la magnificence du fumet.La ciguë n’a pas d’odeur une fois cuite.L’œnanthe ne tue pas.Elle supprime.Comme une maîtresse de maison ayant prié à dîner, l’abbesse fit un dernier tour de table pour vérifier si elle n’avait rien oublié.Les portes énormes du couvent étaient battantes sur le cloître et, dans le déambulatoire autour du puits, on voyait le plus beau spectacle du monde.C’était, autour des colonnettes romanes liées en quadrige, la salle capitulaire étincelante comme par un soir de Noël.Une table de cent couverts y était dressée, à croire qu’on avait dénombré les tire-laine, écorcheurs, défroqués (ceux-ci avaient profité du désordre général pour s’esbigner), crocheteurs, nobles ruinés, assassins par plaisir, croquants affamés que, comme toutes les armées du monde, les huguenots abritaient dans leurs rangs.Quand la route poudroya du côté de la Mort-d’Imbert, un col qui en avait vu d’autres, la sœur la plus jeune de la communauté, qui passait pour avoir une vue perçante, s’écria soudain :— Les voilà !Elle dégringola du clocher où elle guettait.— Dispersez-vous ! dit la prieure.Ne restez pas ensemble ! Allez par deux ou par trois ! Pas plus ! Montez le plus haut possible vers le plateau !— Mais et vous, ma mère ? lui dit-on.— Non.Moi je ne dois pas quitter le couvent !— Mais ils vous tueront !— Ils me tueront, soit ! Et moi qu’est-ce que je suis en train de faire d’eux, croyez-vous ? Vous ne vous figurez tout de même pas que je compte survivre après ça ?Elle désigna les chaudrons qui glougloutaient doucement.— Mais ce sont des hérétiques !— Dans deux heures d’ici ils auront rejoint le Seigneur et Il leur pardonnera ! Le ciel fasse qu’il en agisse de même avec moi !Cette prieure n’avait que seize ans.Elle avait été désignée pour sa grande naissance.— Je ne peux pas mourir l’épée à la main, dit-elle, ma condition me l’interdit
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